L’Internet des objets, big bang annoncé

Equipés d’une puce ou d’un capteur, tous les objets qui nous entourent ont vocation à être connectés et à produire des données. Sous la pression de cette nouvelle vague, l’industrie traditionnelle devra se réinventer.

Vous êtes diabétique et vous n’avez pas pris vos médicaments ; vous avez mal au dos le matin quand vous vous levez sans savoir pourquoi ; vous êtes au bord de la crise de nerfs avec votre voiture tant il est difficile de se garer... Rassurez-vous ! Tout cela ne sera bientôt plus une préoccupation grâce aux objets connectés : votre pilulier enverra un SMS sur votre smartphone pour vous dire de prendre vos gélules, votre matelas analysera votre sommeil et vous prodiguera des conseils. Enfin, les places de stationnement disponibles à proximité apparaîtront sur votre mobile... De fait, il va falloir s’habituer à ce que les objets communiquent avec nous, et entre eux.

Après les réseaux sociaux qui ont bouleversé les relations entre les personnes, l’Internet des objets représente une nouvelle étape de la numérisation du monde. Une vraie révolution en marche. Le glissement sémantique qui s’est opéré chez les acteurs de ce changement en dit long sur l’immensité du champ concerné : on est passé de l’« Internet of Things » (IoT) à l’« Internet of Everything ». En clair, tous les secteurs d’activité seront touchés.

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Usages innovants et design attractif : les objets connectés constituent un véritable enjeu de compétitivité. Ici, le thermostat connecté de Netatmo, designé par Philippe Starck, permet de contrôler son chauffage à distance. - Photo Netatmo

Vous êtes diabétique et vous n’avez pas pris vos médicaments ; vous avez mal au dos le matin quand vous vous levez sans savoir pourquoi ; vous êtes au bord de la crise de nerfs avec votre voiture tant il est difficile de se garer... Rassurez-vous ! Tout cela ne sera bientôt plus une préoccupation grâce aux objets connectés : votre pilulier enverra un SMS sur votre smartphone pour vous dire de prendre vos gélules, votre matelas analysera votre sommeil et vous prodiguera des conseils. Enfin, les places de stationnement disponibles à proximité apparaîtront sur votre mobile... De fait, il va falloir s’habituer à ce que les objets communiquent avec nous, et entre eux.

Après les réseaux sociaux qui ont bouleversé les relations entre les personnes, l’Internet des objets représente une nouvelle étape de la numérisation du monde. Une vraie révolution en marche. Le glissement sémantique qui s’est opéré chez les acteurs de ce changement en dit long sur l’immensité du champ concerné : on est passé de l’« Internet of Things » (IoT) à l’« Internet of Everything ». En clair, tous les secteurs d’activité seront touchés.

En France, les pouvoirs publics y voient déjà un gisement de croissance de ce début du XXIe siècle. Les objets connectés font ainsi partie des 34 projets d’avenir sélectionnés par François Hollande afin de relancer l’industrie française. Ils représentent une brique essentielle de plusieurs des 7 ambitions stratégiques retenues pour la France de 2030 par Anne Lauvergeon, l’ex-patronne d’Areva. « On a raté le tournant des portables et des tablettes. On a là une opportunité de se positionner ! » s’enflamme-t-elle.

Les projections qui circulent sont d’ailleurs euphoriques. En 2020, le nombre d’objets connectés pourrait atteindre 80 milliards dans le monde, selon l’Idate, think tank spécialisé dans l’économie numérique... D’après l’américain Cisco, qui vient d’organiser un forum à Barcelone pour évangéliser l’industrie, l’enjeu économique s’élèverait à pas moins de 14.400 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie ! Un chiffre additionnant création de services nouveaux, gains de productivité, etc. De quoi faire rêver...

« Il n’y a pas à proprement parler de marché de l’objet connecté », précise cependant Rafi Haladjian, pionnier du secteur avec le lapin communicant, Nabaztag, et PDG de Sen.se. Simplement, équipés d’une puce ou d’un capteur, tous les objets traditionnels ont vocation à être connectés et à produire des données qui génèrent de l’information. Un terreau fertile pour la création de services nouveaux que l’on ne soupçonne même pas, et donc de valeur... Et aujourd’hui, on en est encore au démarrage...

Dans l’univers professionnel, la communication de « machine à machine » est certes depuis longtemps une réalité. Dans l’industrie, il est courant que les machines sonnent l’alerte afin que des équipes de maintenance interviennent.

Faciliter la vie quotidienne et faire baisser vos factures

En revanche, à ce stade, le marché grand public reste, lui, encore embryonnaire. Mais les premiers champs d’application sont identifiés. La maison, d’abord, sera remplie de meubles et d’appareils intelligents. Du matelas à l’électroménager en passant par le chauffage. Toutes ces innovations faciliteront votre vie quotidienne ou diminueront vos factures, d’énergie en particulier. Ainsi, le thermostat réglera la température de votre appartement en fonction de vos habitudes et de votre présence ! Le compteur d’électricité communicant vous permettra de suivre votre consommation...

Le domaine du bien-être est lui aussi prometteur. L’offre d’objets permettant de suivre sa courbe de poids, sa tension ou le nombre de pas quotidiens effectués foisonne déjà, assortie pour ceux qui le souhaitent de conseils, de coaching...

La santé ouvre des perspectives encore plus importantes : car les nouvelles applications permettront au médecin de récupérer les données des patients (poids, tension) sur plusieurs mois, ce qui facilitera le diagnostic ou la prévention. Enfin, la ville du futur sera elle aussi intelligente, des bâtiments aux transports. Un impératif pour diminuer la consommation énergétique, la circulation des voitures, la pollution etc., et donc les coûts de la collectivité. Boulevard Victor-Hugo à Nice, Cisco expérimente déjà des poubelles qui préviennent les agents de la ville lorsqu’elles sont pleines, la régulation de l’éclairage en fonction du passage...

Cette nouvelle façon de concevoir les objets implique pléthore d’acteurs. Les fabricants de semi-conducteurs (Intel, STMicroelectronics...) et de cartes à puce (Gemalto), les fournisseurs de capteurs, les équipementiers de réseaux (Cisco, Ericsson). Les opérateurs télécoms estiment également avoir une carte à jouer. « Nous avons le savoir-faire pour agréger les données via notre réseau et nos “data centers”, les traiter via le “big et fast data” et les rendre accessibles via le cloud », indique Luc Bretones, directeur du Technocentre d’Orange.

Surfant sur un secteur en vogue, de nouveaux acteurs émergent. Les Etats-Unis, précurseurs, comptent déjà quelques poids lourds. Ainsi, Nest, fondé par Tony Fadell, l’un des concepteurs de l’iPod d’Apple, a été valorisé 800 millions de dollars lors d’une augmentation de capital en janvier 2013, avec, à l’époque, un seul produit commercialisé : un thermostat intelligent. De son côté, Fitbit, spécialisé dans le fitness, a été évalué à 300 millions de dollars en mars.

La France a elle aussi ses sociétés phares, qui grandissent avec des levées de fonds et jouent la carte de l’international. Parmi les éditeurs d’applications, les Withings (pèse-personne, tensiomètres...), Netatmo (stations météo, thermostat connecté), Parrot (sonde pour le jardin), MyFox (alarme connectée)... Côté technologie, Sigfox a déployé un réseau bas débit sur toute la France « suffisant pour transmettre les données des objets connectés mais au coût beaucoup moins élevé », selon Thomas Nicholls, « IoT évangelist » de la société.

L’optimisme des investisseurs se nourrit de plusieurs facteurs : la projection d’une très forte croissance du marché, la miniaturisation accélérée des composants accompagnée d’une chute des prix et surtout l’apparition de géants mondiaux capables de distribuer immédiatement et massivement les produits. « C’est un élément fondamental : grâce à l’e-commerce et à des acteurs comme Amazon et Apple, les produits peuvent acquérir rapidement une visibilité », analyse Guillaume Meulle chez Iris Capital, entré au capital de Netatmo. « La valeur ajoutée de ces entreprises est d’imaginer des usages innovants et un design attractif », renchérit Jean d’Arthuys, directeur de Bpifrance également actionnaire de la société ainsi que de Withings. Netatmo s’est ainsi offert la signature de Philippe Starck pour son thermostat... « La clef sera le marketing et il faudra investir beaucoup d’argent », ajoute Pascal Cagni, l’ancien patron d’Apple Europe, qui a participé en juin à la levée de fonds de la start-up.

Sous la pression de cette nouvelle vague, l’industrie traditionnelle devra se réinventer. « Pour elle, c’est un vrai enjeu de compétitivité. Les objets connectés constituent à la fois un gisement d’innovations, de créativité et de productivité », observe Eric Greffier, directeur business solutions et expertise chez Cisco France. Depuis longtemps, les constructeurs automobiles planchent sur la voiture communicante. Pour le fabricant d’électroménager SEB, cette révolution représente même « une opportunité ». « Mais, souligne Bertrand Neuschwander directeur général adjoint activités, pour séduire le consommateur, il faudra ajouter d’autres plus-values au service que le simple pilotage à distance. »

Pour ces industriels, cette transformation du marché représente toutefois un saut culturel. Jusqu’ici, le cœur de leur métier consistait en effet à fabriquer des objets, voire en assurer le service après-vente. L’Internet des objets va exiger d’autres compétences car ils devront aussi gérer la masse d’informations générées par l’objet, une fois vendu au client. En clair, « c’est à partir du moment où le produit sortira de l’usine que la relation avec le consommateur commencera », résume Rafi Haladjian. Dans la plupart des entreprises, ce changement de paradigme suscite une appréhension. A la différence de sociétés comme Nike, acteur de la première heure avec son bracelet connecté...

La protection des données devient un sport acrobatique

L’explosion prévisible des appareils connectés pose toutefois plusieurs problèmes. Sur le plan technique d’abord. Pour donner une identité Internet aux appareils, il va falloir déployer le protocole IPv6, qui permettra de créer un nombre quasi illimité d’adresses. Un facteur « incontournable du développement harmonieux de l’Internet des objets à long terme », relève Luc Bretones.

Par ailleurs, assurer la sécurité du réseau sera un enjeu majeur compte tenu des volumes gigantesques de données en circulation – dont certaines sensibles. « Il y a un risque que des données puissent être changées par des acteurs extérieurs », souligne Benoît Jouffrey, vice-président de la branche machine-to-machine de Gemalto. Et pour sécuriser les citoyens tout en accélérant le développement de l’Internet des objets, « la création d’une norme européenne sera un des éléments clefs ».

Enfin, dans ce monde relié à Internet, la protection des données personnelles va devenir une mission acrobatique. « L’objet connecté peut être Big Brother », glisse un expert qui prend le cas du compteur électrique intelligent : « Par son biais, on peut savoir quels sont les appareils branchés dans votre appartement, si vous êtes chez vous, ce que vous faites », explique-t-il. Aux Pays-Bas, une telle intrusion a été rejetée par les citoyens, qui ont obtenu que ces compteurs soient installés sur la base du volontariat. Dans l’Hexagone, la CNIL cherche à établir un cadre pour protéger le consommateur d’une exploitation abusive de ses données personnelles. Mais ce chantier, très vaste, reste à défricher.

Pour autant, la France ne veut pas rater cette bataille, convaincue d’avoir des atouts. « Notre force, ce sont nos ingénieurs très bien formés, nos designers », insiste Anne-Sophie Bordry, ancienne de Facebook qui a créé une association dédiée aux objets connectés. Et si ces objets sont souvent fabriqués en Chine, les bureaux d’études, le marketing sont installés dans l’Hexagone. Signe de l’intérêt des pouvoirs publics, les prises de participation de Bpifrance au capital de plusieurs start-up. Reste à voir s’ils sauront se montrer un allié de cette transformation en favorisant son utilisation. Par exemple dans la santé, où les objets connectés pourraient s’avérer un outil précieux des politiques de prévention et de maintien des personnes âgées à domicile, avec pour la Sécurité sociale des gisements d’économies substantielles...

Nathalie Silbert
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