Il y aurait aujourd’hui près de 100 000 applications de e-santé dans le monde, associées à une ribambelle d’objets connectés ! De la fourchette et de la brosse à dents, jusqu’au pacemaker… Pour autant, allons-nous vers la disparition du médecin traitant ? L’Atelier de BNP Paribas a fait de cette question le fil rouge de sa dernière journée théma.
Brisons net le suspense ! Pour le moment, le bon vieux médecin de famille n’est pas menacé. Une bonne raison : l’organisation de la e-santé en France avance à pas comptés. La plupart des applications qui foisonnent sur le marché concernent encore essentiellement l’univers du bien-être. Et au-delà des programmes de coaching proposés par leurs concepteurs chacune produit une avalanche de données personnelles qu’on ne sait pas encore très bien comment relier au dispositif de soins traditionnel. Sans compter que le cadre qui régule ce secteur émergent reste à écrire. « Beaucoup de ces objets sont des gadgets dont on ne sait pas vraiment comment ils marchent », note Lionel Reichardt expert en e-santé et fondateur de 7C’s Health. On n’en connaît pas plus sur les algorithmes utilisés par les applications ».
L’exemple des maladies chroniques
Même si d’aucuns redoutent une bulle à plus ou moins brève échéance, personne ne conteste pour autant la généralisation, dans un futur proche, de l’usage de ces capteurs. Elle s’inscrit en effet dans une tendance incontournable : la médecine personnalisée et prédictive. « Celle-ci a déjà commencé à faire ses preuves sur les pathologies chroniques (insuffisances cardiaques, cancer, diabète…), responsables de 70% des coûts de santé et, en particulier, sur les 5% de malades les plus atteints qui absorbent à eux seuls encore 70% des dépenses », souligne Béatrice Falise Mirat directrice des affaires publiques et réglementaires d’Orange Healthcare. Grâce aux données fournies par les capteurs posés sur ces malades on évite à temps les rechutes. L’enjeu financier de ces maladies justifie les projets de e-santé qui commencent à voir le jour, embarquant médecine hospitalière et médecine de ville. Dans l’absolu, les applications grand public de « wellness » répondent à la même logique de prévention. Et permettent aussi, bien qu’à plus long terme, de faire des économies. « 30% à 50% du patrimoine de santé d’un individu dépend de ses habitudes de vie, contre 20% seulement du système de soins », assure Béatrice Falise Mirat. Il y a donc un vrai enjeu à faire progresser ces applications. La difficulté est qu’elles se situent à l’intersection de plusieurs secteurs. Chacun voyant les choses par le petit bout de la lorgnette.
Mutuelles et assureurs en tête
Pour le moment le marché est surtout tiré par les start-up qui cherchent des débouchés à leurs leurs produits ou services. Non sans mal. Ainsi Betterise, une application qui propose 7 à 8 conseils de santé personnalisées quotidiens en fonction du profil de chaque utilisateur, a d’abord approché les DRH pour savoir s’ils seraient prêts à payer pour ce service offert à leurs salariés dans le cadre d’une politique santé corporate. Sans succès. Les mutuelles, elles, ont été plus réceptives. « Nous avons « vendu » plus de mille licences à Harmonie », précise l’un des co-fondateurs, Christophe Brun. Avec les compagnies d’assurances ces entreprises sont les plus en pointe dans l’utilisation à grande échelle de ces applications. Et pour cause, elles leur permettent d’établir une relation plus personnalisée avec leurs affiliés en les incitant à adopter des comportements moins à risques. Même si elle se trouve dans une position plus délicate pour prendre la parole sur ce sujet, l’industrie pharmaceutique se sent également très concernée. « Notre rôle consiste aussi à accompagner le médecin dans son travail grâce notamment à une meilleure connaissance de son patient », indique Vincent Varlert, directeur exécutif Novartis Pharma. Mais l’homme craint aussi à juste titre de se faire « désintermédier » par un géant du net comme Apple qui vient de lancer la plateforme d’aide au diagnostic médical Research kit.
L’usager à la manoeuvre
Plaque tournante du dispositif, le médecin doit aussi faire sa révolution culturelle en acceptant de travailler davantage en partenariat avec de nouveaux opérateurs lui donnant accès à des données utiles pour son diagnostic. « Mais il ne faut pas compter sur lui pour recevoir, analyser et décortiquer tous les jours les données de son patient, nuance Lionel Reichardt. Il n’a pas le temps pour cela ».C’est donc surtout l’individu qui portera cette transformation. Quitte à ce qu’il devienne un peu lui même un data scientist. « En matière de e-santé la technologie et les usages vont beaucoup plus vite que le milieu médical » confirme Béatrice Falise Mirat. Et ce n’est pas le dossier médical personnalisé qui devrait faire pencher la balance de l’autre côté. « Celui-ci coûte très cher et n’avance pas. Le niveau de sécurité exigé n’est pas compatible avec les usages qu’on veut en faire », s’insurge Vincent Varlet. Plus que jamais on a donc besoin de faire émerger des plates-formes ou partager l’information dans un cadre fiable et sécurisé.
Stefano Lupieri
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